Me Caroline Rhéaume, Avocate, M.fisc., TEP

Impacts des budgets sur l’utilisation des fiducies testamentaires

Dans le Budget fédéral 2014, le gouvernement est allé de l’avant avec les modifications proposées en 2013 au traitement fiscal des fiducies testamentaires et de certaines successions. La fiducie testamentaire se distingue notamment de la fiducie non testamentaire ou entre vifs quant au taux progressif d’imposition et la possibilité de choisir une année d’imposition différente de l’année civile. Les revenus de la fiducie entre vifs sont imposés au taux marginal maximal alors que les revenus de la fiducie testamentaire sont imposés selon les taux progressifs d’imposition applicables aux individus. Par ailleurs, la fiducie testamentaire offre des possibilités de fractionnement du revenu avec des mineurs, résultat plutôt difficile à obtenir en présence d’une fiducie entre vifs.

Le gouvernement fédéral avait annoncé, plus d’une fois, sa volonté en 2013 de mettre fin à la possibilité qu’ont les bénéficiaires de successions et de fiducies testamentaires de tirer avantage des taux progressifs. Une des mesures prévues au Budget vise à imposer le revenu gagné par une fiducie testamentaire au taux marginal maximal d’imposition et ce, à compter de l’année d’imposition 2016. Cette mesure visera également les successions pour les années d’imposition qui se terminent 36 mois après le décès du particulier en cause. Les successions continueront
donc de bénéficier du traitement fiscal actuel pour une période maximale de 36 mois. Après cette période, les revenus d’une succession seront imposables au taux marginal maximal. D’autres mesures connexes ont été annoncées. La fin d’année des successions assujetties à l’imposition au taux marginal maximal et celle des fiducies testamentaires devra correspondre à l’année civile. De plus, ces successions et fiducies ne seront plus exemptées du versement d’acomptes provisionnels, n’auront plus droit à l’exemption de base visant le calcul de l’impôt minimum et ne pourront plus mettre à la disposition de leurs bénéficiaires des crédits d’impôt à l’investissement. Le gouvernement du Québec a annoncé, dans son dernier budget, vouloir harmoniser sa législation aux propositions fédérales.

Impact sur nos planifications

Pour bien des individus, la possibilité de fractionnement du revenu pouvant s’opérer entre la fiducie testamentaire et ses bénéficiaires était perçue comme un avantage à ne pas négliger. Le fractionnement du revenu était même, pour certains, ce qui les incitait à opter pour un legs en fiducie plutôt qu’en propriété absolue. Certes, la fiducie testamentaire a un attrait lorsque vient le temps de laisser un héritage à un bénéficiaire ayant des problèmes de comportement ou de gestion de ses actifs, qui recherche la protection d’actifs ou qui est en bas âge. La fiducie testamentaire est également un excellent véhicule pour faire administrer une prestation d’assurance vie versée à un mineur par une personne autre que son tuteur ou dans une situation de famille recomposée. Elle permet également un contrôle sur la remise ultime des biens détenus dans la fiducie. Considérant les modifications proposées, devonsnous suggérer à nos clients de revoir leur testament, de modifier ou carrément d’éliminer les fiducies testamentaires prévues ou d’opter pour le statu quo? Certaines pistes de solutions sont abordées ci-dessous.

Fiducie testamentaire au profit du conjoint

Référence au revenu civil

À première vue, nous pourrions penser que puisque tout le revenu net doit être versé au conjoint afin que la fiducie se qualifie en vertu de l’alinéa 70(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après « LIR »), il sera possible de faire échec à l’imposition au taux marginal maximal au niveau de la fiducie. Il faut toutefois se rappeler que la LIR ne donne pas une définition du terme « revenu ». Selon le paragraphe 108(3) LIR, pour l’application de l’alinéa 70(6)b) LIR, le revenu de la fiducie correspond à son revenu calculé compte non tenu des dispositions de la LIR. La LIR nous renvoie à la notion civile de ce qui constitue du revenu. Les articles 909 et 910 du Code civil du Québec définissent ce qui constitue du capital et ce qui constitue du revenu. En fonction de cette classification, un gain en capital réalisé n’est pas du revenu. Donc, sauf indication contraire dans l’acte de fiducie, le gain en capital n’a pas à être versé au conjoint afin que la fiducie se qualifie de fiducie testamentaire au profit du conjoint. Le même raisonnement s’applique au dividende réputé provenant d’un rachat d’actions. Donc, si le terme « revenu » réfère uniquement au revenu civil, certains revenus pourront demeurer à l’intérieur de la fiducie testamentaire et être assujettis au taux marginal maximal. Il pourra donc être désavantageux, d’un point de vue fiscal, d’avoir créé une telle fiducie alors que le conjoint aurait pu recevoir le même revenu à un taux d’imposition moindre. Dans un tel cas, et selon la charge fiscale excédentaire, si les fiduciaires ont le pouvoir d’empiéter sur le capital et ont une grande latitude au niveau de la remise des biens en faveur du conjoint, voudront-ils remettre les biens générant du revenu non couvert par la définition de revenu civil entre les mains du conjoint directement ? Évidemment, il n’y a pas de réponse simple à cette question. La rédaction de l’acte, l’affectation de la fiducie, les droits des bénéficiaires ultimes devront, entre autres, être considérés avant d’en arriver à une conclusion.

Définition du terme « revenu bonifié »

L’alinéa 70(6)b) LIR exige que le conjoint ait droit à tout le revenu de la fiducie testamentaire. Or, même si la LIR nous réfère à la notion civile du terme « revenu », il n’est pas interdit de bonifier la définition de ce terme dans l’acte de fiducie ou le testament. Ainsi, la définition du terme « revenu » pourrait, par exemple, inclure le gain en capital imposable et les dividendes réputés. Évidemment, cette option doit être discutée avec le testateur. Veut-il effectivement que ces revenus soient mis à la disposition du conjoint ou veut-il que ces sommes demeurent dans la fiducie pour les bénéficiaires du capital ? L’impôt est-il le seul motivateur ? Un exercice devra être fait en vue de déterminer quels types de revenus seront gagnés par la fiducie et quel sera leur ordre de grandeur avant d’opter pour une définition élargie du terme « revenu ».

Discrétion donnée aux fiduciaires de déterminer ce qui constitue du revenu ou du capital

Pour éviter toute mauvaise surprise, le testateur pourrait donner des pouvoirs aux fiduciaires leur permettant de déterminer ce qui constitue du revenu et ce qui constitue du capital en présence d’une fiducie testamentaire au profit du conjoint. Or, que faire si, suite à une mauvaise qualification, une partie du revenu civil n’est pas payée au conjoint? Le roulement fiscal pourrait-il être remis en cause ? Il y a donc un risque à opter pour cette option.

Par ailleurs, notons que l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») ne reconnaît pas les clauses laissant aux fiduciaires d’une fiducie l’entière discrétion quant à la détermination de ce qui constitue du capital ou du revenu. L’ARC mentionne toutefois que les clauses spécifiques de l’acte de fiducie prévoyant clairement que certains types de paiement constituent du revenu pour la fiducie sont acceptables(1).

L’Agence du revenu du Québec semble ouvrir la porte au large pouvoir de détermination de ce qui constitue du revenu ou du capital dans la mesure où l’exercice d’un tel pouvoir ne prive pas le conjoint de son droit aux revenus que rapporte la fiducie si le document la créant accorde ce droit au conjoint(2).

(1) Interprétations techniques 2001-0076845, 26 avril 2001; 2004-0093601E5, 2 novembre 2005; 2004-0093661E5, 30 septembre 2005.
(2) Bulletin d’interprétation IMP-440-1, Fiducie au conjoint – roulement, 28 février 1986.

La substitution

Dans certains cas, la substitution avait été utilisée comme alternative à la fiducie testamentaire au profit du conjoint, notamment lorsque l’unique objectif de la planification était le fractionnement du revenu. Comme la substitution était traitée comme une fiducie aux fins fiscales, le fractionnement du revenu entre la substitution et le conjoint était possible, sans la nécessité de nommer un fiduciaire indépendant. Le conjoint pouvait donc administrer son legs seul, sans l’intervention d’une tierce partie. Ceux qui ont opté pour cette stratégie, surtout la substitution de residuo, voudront peut-être revoir leur testament et choisir un legs en propriété absolue.

La fiducie testamentaire familiale

Tel que discuté, une fiducie testamentaire est régulièrement recommandée pour des motifs autres que fiscaux. Il est toutefois important de vérifier auprès de nos clients si la raison qui avait motivé la création d’une fiducie testamentaire est toujours présente. Le testateur devrait-il prévoir une fiducie testamentaire avec plusieurs bénéficiaires plutôt qu’une fiducie par bénéficiaire ? Pour ceux ayant retardé la remise du revenu et du capital de la fiducie testamentaire au moment où le bénéficiaire atteindra un certain âge ou lors de l’avènement d’un événement en particulier, il vaudra la peine de revoir ces clauses et leur impact au niveau fiscal. Si les montants qui seront transférés à la fiducie testamentaire sont importants mais que les revenus en découlant ne peuvent être versés en tout temps, quelle sera la facture d’impôt ? Il faut donc revenir à la base, soit la raison d’être de la fiducie et faire quelques calculs.

Que faire avant 2016 et pour le futur

Il semble important de jeter un coup d’oeil aux testaments fiduciaires de nos clients afin de bien évaluer l’impact de l’imposition des revenus des fiducies testamentaires au taux marginal maximal. La question des acomptes provisionnels doit également être abordée. À l’avenir, de nouvelles questions devront être posées afin de bien évaluer la pertinence de créer des fiducies testamentaires. Par ailleurs, elles ne doivent pas être systématiquement mises de côté pour autant. Les besoins et les objectifs du client sont les meilleurs guides en la matière.

Des stratégies de fractionnement du revenu pourront toutefois être mises en place pendant 36 mois pour les successions. Notons également que le gouvernement a indiqué vouloir maintenir les taux d’imposition progressifs à l’égard des fiducies dont les bénéficiaires sont des particuliers qui sont admissibles au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées. Des précisions à ce sujet sont à venir.

© Wolters Kluwer Québec Ltée | Un texte de Me Caroline Rhéaume, M.Fisc., Adm.A., Pl.Fin., TEP.

Me Caroline Rhéaume est l’auteure des publications :

Utilisation des fiducies en planifications fiscales et financières, 2e édition
Stratégies de planification utilisant des fiducies
Strategic Use of Trusts in Tax and Estate Planning

Me Rhéaume est aussi la conférencière principale des colloques sur les fiducies aussi disponibles en version webinaire

 

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